Le langage sms et les fautes volontaires
- Comité de lutte contre le langage sms et les fautes volontaires
Le matin du 13.02.2005: MICHEL JEANNERET
Des incultes à l'université
FRANÇAIS Orthographe en perdition, syntaxe désastreuse, difficultés de lecture: le niveau de connaissance des étudiants se révèle tellement déplorable que l'alma mater envisage d'introduire des cours de français de base
«Vous nous avez dit que vous aviez le jury aujourd'hui et que vous connaisseriez déjà nos notes (sic)!» Ces jours-ci, les étudiants attendent avec impatience les résultats de leurs examens semestriels. Vu le cri du coeur poussé par cet élève en français à l'Université de Genève, on comprend qu'une inquiétude vague l'envahisse...
Syntaxe fautive, textes incompris, le niveau de connaissance d'une très large majorité des étudiants a baissé de manière inquiétante ces dernières années. A tel point que certaines Facultés des lettres de Suisse romande examinent la possibilité d'introduire de nouveaux cours, afin d'inculquer des notions que les maîtres des gymnases n'ont plus le temps d'enseigner.
L'Université de Neuchâtel jouera un rôle de pionnière, puisqu'elle introduira - dès le semestre d'hiver 2006 - un module qui mettra l'accent sur la grammaire, l'expression écrite et l'argumentation. Pour l'alma mater, remédier à cette déculturation est devenu une urgence, car ceux qu'elle forme aujourd'hui seront les enseignants de demain.
«Il sera très difficile de remonter la pente, relève Sylviane Dupuis, qui enseigne la littérature romande à l'Université de Genève. Je crains que l'on ne doive considérer l'orthographe comme perdue. Et aujourd'hui certains étudiants ne savent même plus utiliser le «dont», un mot pourtant usuel.»
Le constat est d'autant plus alarmant qu'il fait l'unanimité. «A la lecture de certains travaux, je me demande si leur auteur est de langue maternelle française, même si cela s'avère être le cas», se désole Guy Poitry, responsable de l'unité de dissertation à Genève.
Le niveau désastreux de ses élèves l'a poussé à leur remettre à chaque début de cycle un récapitulatif des règles de base et des erreurs les plus fréquentes. Le 6 décembre 2004, il a soumis ses 130 étudiants à 80 phrases fautives. «Ils ne devaient pas laisser plus de 15 fautes. Eh bien, 110 d'entre eux ont raté ce petit test...»
Ce piètre résultat a ému le Département de langue et de littérature françaises modernes. Lors d'une récente séance informelle, la création de cours de rattrapage a été évoquée. «Nous n'avons pas encore trouvé de solution pratique, mais on ne peut pas se permettre d'ignorer cette réalité, relève Michel Jeanneret, directeur du département. Même si l'Uni n'a pas pour vocation d'offrir une formation de base.»
En clair: dans un avenir proche, les universités se verront contraintes de combler les lacunes des élèves qui sortent du secondaire. Un secondaire débordé par des effectifs en hausse constante et des budgets revus chaque année à la baisse.
A cela vient s'ajouter la pénurie d'enseignants. Guy Poitry en livre un exemple emblématique: «Agée d'une trentaine d'années, une de mes étudiantes enseigne le français dans un cycle genevois. Et pourtant son niveau de connaissance est catastrophique. A tel point que la direction l'a contrainte à entamer des études de français a posteriori.»
Pour obtenir le droit d'enseigner dans les cycles genevois, quatre ans d'études universitaires sont actuellement nécessaires. La réforme de Bologne prévoit d'élever les exigences à cinq ans (niveau master). Mais les études se diviseront désormais en deux cycles: le bachelor (trois ans) et le fameux master (deux ans supplémentaires). Or la pénurie de professeurs pourrait amener le Département de l'instruction publique à se satisfaire du bachelor comme condition pour enseigner.
«C'est même une certitude», lâche John Jackson. Dépité, le directeur de l'Institut de français de l'Université de Berne a proposé une «année propédeutique à haute dose», afin de pallier les carences des élèves, mais il s'est heurté à une fin de non-recevoir: «Ma faculté craignait que les étudiants ne fuient Berne pour cette raison...»
Pour sa part, Neuchâtel tente de vendre comme un atout ce qui pourrait être perçu comme une contrainte. La Faculté des lettres désire mettre sur pied un cours spécial, et cela dès le semestre d'hiver 2006. Avec des crédits à la clé.
Ce projet est inscrit dans un plan d'intention qui sera soumis ce mois-ci au Grand Conseil neuchâtelois. «Nous y exposerons les principes que l'on apprend normalement au gymnase, mais nous approfondirons également la façon de structurer un argument», explique Ellen Hertz, anthropologue.
Pour pouvoir voir le jour, ce cours devra tout d'abord trouver une source de financement. L'Université de Neuchâtel ne pouvant pas débloquer les quelque 140 000 francs nécessaires à la création d'un poste de maître d'enseignement, des fonds sont recherchés dans le secteur privé.