Alcool et grossesse ne font pas bon ménage
Parrainage
Une brochure prévient des dangers de la consommation chez les femmes enceintes.
valentine zubler
Publié le 30 octobre 2004
«Trop longtemps passée sous silence, la consommation d'alcool durant la grossesse provoque pourtant des ravages considérables chez le fœtus.» Pour lutter contre ce fléau, le Département de l'action sociale et de la santé, la Fédération genevoise pour la prévention de l'alcoolisme (FEGPA) ainsi que d'autres organismes actifs dans le domaine de la santé viennent d'éditer une brochure d'information. Tirée à 15 000 exemplaires, elle sera distribuée dans les centres de soin.
© Laurent Guiraud
Son nom: «Je suis une jeune fille, je suis une femme, je consomme de l'alcool modérément ou plus. Quels effets sur moi? Sur un enfant à venir?» Si cette plaquette traite de prévention de manière générale, «elle dispense surtout des recommandations aux personnes enceintes», prévient d'emblée le médecin chef du service de gynécologie et obstétrique de la maternité de Genève, Olivier Irion.
Bientôt la fin d'un tabou?
Alcoolémie identique chez la mère et l'enfant
«L'alcool traverse très facilement le placenta. L'alcoolémie est le même chez la femme et l'enfant», expose la doctoresse Manuella Epiney, cheffe de clinique à la Maternité de Genève. Le risque d'anomalies chez le fœtus est donc très élevé. «Celles-ci vont du syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF), relativement facile à repérer, à des troubles neurocomportementaux plus discrets, mais qui se manifestent par des dysfonctionnements jusque dans l'âge adulte», prévient la doctoresse.
Décrit pour la première fois en 1968, le SAF «apparaît en cas de consommation élevée». Les chiffres font défaut pour la Suisse, mais la fréquence supposée du SAF est de 0,2 à 1 naissance sur 1 000. En France, ce syndrome frappe 2,9 nouveau-nés sur 1 000.
Retards de croissance, anomalies crano-faciales, atteintes du système nerveux central avec des anomalies neurologiques, retards de développement, dysfonctionnements comportementaux et troubles de l'apprentissage figurent au sombre menu des verres de trop. La liste est définitivement trop longue. «Une consommation de trois verres d'alcool par jour est clairement à risque de SAF», prévient Manuella Epiney.
Des «effets de l'alcool sur le fœtus» surviennent également lors d'une consommation moindre. Touchant un nouveau-né sur 300, ils provoquent des dommages plus légers, mais néanmoins très nocifs.
Or, le déni subsiste toujours. On estime à 20 % le nombre de femmes consommant de l'alcool durant leur grossesse, et à 5 % le nombre d'entre elles dont la consommation est jugée «à risque». «Le débat est difficile, parce que l'alcool évoque la convivialité ou le plaisir», rappelle Elisabeth Debenay, de la Direction générale de la santé. «Il ne faut pas oublier qu'en face, on a un lobby», soupire quant à elle Laurence Fehlmann Rielle, la secrétaire générale de la FEGPA.
Les professionnels de la santé disposent néanmoins de beaucoup d'opportunité, selon Manuella Epiney. Cependant, ils ne sont pas encore suffisamment formés pour aborder le sujet délicat de l'alcool et de la grossesse, ainsi que pour détecter la population à risque, déplore le médecin.
«Si plus de 10 à 12 verres d'alcool par semaine sont très délétères, on n'a pu définir de seuil en dessous duquel aucune atteinte n'est possible», observe la cheffe de clinique de la maternité. L'Organisation mondiale de la Santé, suivie par plusieurs pays européens, recommande donc l'abstinence pendant la grossesse et l'allaitement. En Suisse, les mises en gardes sont plus floues. Par ailleurs, un forum sur le thème «Alcool, grossesse et famille» sera organisé au début de l'année 2005, aux Hôpitaux universitaires de Genève.
Les hommes et la bouteille
La consommation d'alcool chez les hommes comporte-t-elle également une incidence sur le fœtus? La question semble idiote; elle ne l'est pas.
«Selon une recommandation de la Société française d'alcoologie, datée de juin 2003, des études sur des rats mâles alcoolisés dans les jours précédant la fécondation, ont permis de constater une diminution du poids et de la taille chez les rats nouveau-nés, mais pas de difficultés d'apprentissage», explique Manuella Epiney, cheffe de clinique à la Maternité de Genève. Le sperme, contrairement aux ovules, se renouvelle: ces anomalies sont donc réversibles à l'arrêt de la consommation d'alcool.
«Toutefois, l'extrapolation à l'homme demeure hasardeuse, et demande vérification», poursuit la doctoresse.
«En revanche, des études effectuées chez les adolescents consommant de l'alcool ont démontré une diminution de la testostérone, l'hormone masculine qui influe sur la fertilité.»
V.Z.