Le merle et le portable
Il était à peine plus de 6 heures du matin l’autre jour, quand je marchais avec Coyote et Chipie, clébards aux poils fous, sur le quai qui relie La Tour-de-Peilz à Vevey.
Nuit noire, bise sombre et obstinée, pièges glacés sous la légère couche de neige, pas grand monde dehors.
J’avais vu la veille Le dernier trappeur, beau film de Nicolas Vanier, et j’avoue qu’emballé dans mes couches de laine, je me prenais un peu pour l’homme des bois qui joue son propre rôle dans sa nature canadienne éblouissante, mais hélas menacée.
Un peu moi-même, un peu trappeur, je n’aurais pas été surpris de devoir affronter, dans la nuit polaire que je parcourais en solitaire, un lynx, un loup, voire un ours, tous affamés et dents dehors. Et je n’espérais guère de soutien des deux roquets qui m’escortaient: ils n’ont rien du chien de traîneau.
Mais tout à coup, au cœur de l’angoisse, un chant libérateur, un chant ami. Pas de hululement de loup ou de grognement d’ours, mais le chant d’un merle. On croise les fauves qu’on peut… L’emplumé semblait heureux, content de faire savoir son bonheur avec insistance et emphase, comme ses congénères le font au joli mois de mai. Il a sifflé longtemps, jusqu’au moment où, peut-être, quelqu’un lui a montré un calendrier.
Le trouble m’est pourtant venu quand j’ai entendu, plus tard dans la journée, sonner le téléphone portable d’un collègue. Il imitait le chant du coucou. Ne me dites pas que mon pote le merle égaré dans les saisons, mon compagnon printanier dans la nuit hivernale, n’était qu’un téléphone qui chantait sa solitude…
Philippe Dubath
source : http://www.24heures.ch/home/journal/gro ... ros+titres