Vaud: toujours plus de pauvres
Les montants versés par le Centre social régional de Lausanne, qui distribue 40% de l’aide cantonale, ont décuplé en quatorze ans, signe d’une société où la précarité frappe de plus en plus.
LES FAITS
Depuis 1990, les montants distribués à Lausanne dans le cadre des régimes sociaux ont passé de 7 millions à 70 millions. Une paupérisation qui touche désormais 5% de la population active. Les catégories de population les plus exposées sont les familles monoparentales (femmes seules avec enfants dans 92% des cas), les personnes de plus de 35 ans vivant seules (le plus souvent des hommes) et les familles de plus de 5 personnes. Une évolution qui n’est pas propre à Lausanne, qui distribue les 40% de l’aide totale au plan cantonal. L’augmentation des coûts de l’aide sociale est générale dans le canton.
C’est un constat sec tiré par la Ville de Lausanne et le Service cantonal de recherche et d’information statistiques (SCRIS). Les montants versés au titre de l’aide sociale progressent de manière exponentielle: 7 millions étaient distribués en 1990 à Lausanne, au titre du Bouton d’Or (ancêtre du Revenu minimum de réinsertion) ou de l’aide sociale vaudoise. Quatorze ans plus tard, ce montant a décuplé pour grimper à 72 millions (chiffre 2003). Et cette progression ne semble pas devoir s’arrêter. 2004 devrait marquer une nouvelle hausse, alors que les responsables de l’aide sociale lausannoise s’attendent à un pic encore plus marqué dès le 1er juillet 2005. A cette date, les indemnités chômage seront ramenées de 520 à 400, d’où une arrivée prévisible sur le «marché» de l’aide sociale de quelques centaines de personnes.
Phénomène urbain
Accablants, les indicateurs sont tous significatifs d’une grande paupérisation d’une partie de la société. Depuis trois à quatre ans, relève Michel Cornut, chef du Service social de Lausanne, près de 600 jeunes entre 18 et 25 ans émargent à l’aide sociale, conséquence de leur non-intégration dans le monde professionnel. Sans surprise, les familles monoparentales (essentiellement des femmes seules avec enfants) connaissent de grandes difficultés. Phénomène plus nouveau en revanche, les hommes de 35 ans et plus vivants seuls, théoriquement en pleine santé et dans une période de vie qui devrait être professionnellement favorable, sont désormais menacés par l’exclusion. C’est un phénomène urbain qui n’est pas propre à Lausanne. Ces nouveaux exclus ont souvent un passé toxico-dépendant, mais pas toujours. Au total, 5% de la population active est concernée par l’aide sociale à Lausanne. Michel Cornut évoque même des sortes de ghettos lausannois, puisque selon lui on compte un quart de la population active à l’assistance publique dans certains quartiers lausannois. Quels quartiers? Le responsable refuse de les citer nommément. «Je peux vous dire que ce n’est pas à Chailly, pour le reste, je vous laisse deviner.»
Vives tensions
A l’origine de cette explosion de la demande, la dégradation de la situation économique. Le chômage de longue durée est en constante augmentation. «Le Grand Lausanne a perdu 18 000 emplois industriels ces dernières années.»
La situation est potentiellement explosive. Le responsable du Service social lausannois engage constamment de nouveaux assistants sociaux pour faire face à la demande croissante et réfléchit à des mesures de sécurisation de ses bureaux. A l’instar de ce qui se passe à l’Office du tuteur général et dans certaines caisses de chômage, de vives tensions existent entre ceux qui doivent attribuer l’aide et ceux qui la demandent. Il arrive ainsi que des assistants sociaux se fassent agresser. «Les gens sont à cran, note Michel Cornut. Je crains une situation explosive si la réponse politique à ces besoins en augmentation est une diminution des forfaits.» C’est justement ce que l’Etat envisage de faire dans le cadre du budget 2005.
«Les gens sont à cran. Je crains une situation explosive si la réponse aux besoins est une diminution de l’aide», Michel Cornut, chef du Service social de Lausanne/REACTION: Mis sur la sellette ces dernières années, le Service social de Lausanne a pris des mesures pour ne pas verser de l’argent à tort.
Les crises à répétition n’ont pas manqué ces dernières années dans le domaine de l’aide sociale lausannoise. Dernier épisode en date, la publication, cet été, du dernier rapport du Contrôle cantonal des finances (CCF) montrant que l’aide sociale était distribuée à tort dans un nombre de cas non négligeable. L’enquête avait été faite l’an dernier auprès de Lausanne et de deux CSR du canton. Charles-Louis Rochat avait alors déclaré que le CSR de Lausanne était l’établissement où le nombre de dossiers à problèmes était le plus élevé.
On sait dans quel climat tendu le CCF a procédé à ses enquêtes successives, formulant à chaque fois une série de recommandations. Ce climat est en train de changer. Nouveau responsable du dossier, Michel Cornut joue clairement l’apaisement. Une partie des recommandations du CCF a été mise en œuvre. Notamment sur le plan informatique. Par ailleurs, autre recommandation du CCF, la Ville a désormais mis sur pied un système de contrôle interne. En clair, des collaborateurs administratifs vérifient que les dossiers des assistants sociaux justifiant la demande d’aide soient complets et corrects. La Ville parle à ce sujet de non-conformités, soit des erreurs commises par ses services. Le but est de faire chuter le taux de ces erreurs à moins de 5% des cas.
Une réforme pousse Lausanne à agir: le fait que, selon la nouvelle loi sur l’aide sociale, qui entrera en vigueur en 2006, les communes sont tenues de rembourser au canton l’aide sociale versée à tort. Du moins dans les cas où la commune est fautive.
Reste le cas des fraudes, où le bénéficiaire de l’aide sociale cherche sciemment à tromper les services sociaux, en fournissant des documents falsifiés par exemple. Lausanne a aussi décidé de renforcer ses moyens pour lutter contre ce phénomène. Au 1er décembre, une deuxième personne commencera son activité au CSR. La volonté de renforcer les contrôles se traduit déjà dans les chiffres. En 1999, 33 enquêtes avaient abouti à 5 dénonciations auprès du préfet ou du juge. En 2003, 126 enquêtes ont abouti à 59 dénonciations. Pour ce mois de novembre 2004, 126 enquêtes sont ouvertes.
source info:
http://www.24heures.ch/home/journal/gro ... ros+titres